LE JAZZ ET LES ECRIVAINSpar Jacques Chesnel |
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Dès ses origines au début du XXième siècle, la musique afro-américaine qu’on appelle le plus souvent « jazz » est indissociable de la parole, du verbe, de cette littérature orale : les work songs (chants de travail), les spirituals et gospel songs des Eglises noires, dans le blues ou ces dirty dozens (sorte de tournois d’insultes en cadence).. suivie par l’écrit : les lyrics (chansons populaires de Broadway)… sans omettre cette élocution gouailleuse venue du ghetto, le « jive » (langage argotique des Noirs de Harlem apparu dans les années 30) qui aboutira au rap du début des années 70. |
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La Renaissance de HarlemAu cours des années 20 – 30, une agitation artistique et littéraire se manifeste à Harlem où une abondante littérature va s’efforcer de capter l’esprit du jazz sous toutes ses formes : poésie, romans, essais, revues littéraires, théâtre… ce mouvement prendra l’appellation de «Harlem Renaissance » dont les grandes figures seront Marcus Garvey et W.E. Du Bois, théoriciens du « retour à l’Afrique » (ce dernier étant l’un des fondateurs de la NAACP, soit en français : Association Nationale pour le Progrès des Gens de Couleur, auteur du livre « The Souls of Black Folks » en 1903) et Langston Hugues (1902 – 1963). Auteur d’essais, livres pour enfant, opéra, théâtre (« Mulatto » joué à Broadway en octobre 1935), romans, nouvelles, poèmes, Langston Hughes, grand voyageur (toujours en compagnie de son phonographe et des disques de Louis Armstrong et de Duke Ellington), prit une part active à la lutte des Noirs américains pour leur dignité : « Moi aussi je suis l’Amérique » proclame l’Ingénu venu de Virginie dans un poème de son recueil « The Weary Blues » (1926). Passionné par le jazz, auteur d’environ 150 blues (pour la plupart mis en musique), de gospel songs, co-auteur du spectacle « Black Nativity », il écrit pour les enfants « The First Book of Jazz » (1955) et enregistre ses poèmes qu’il lit en compagnie de musiciens dont le contrebassiste Charles Mingus en 1958. Son œuvre est considérable ; son livre le plus célèbre est un recueil de nouvelles : « The Best of Simple » (en français : « L’Ingénu de Harlem » ; éditions R. Laffont 1966) D’autres écrivains, romanciers et poètes, participèrent à ce mouvement d’affirmation de la négritude où le jazz fut souvent présent : notamment Sterling Brown, Countee Cullen, James Weldon Johnson, Claude McKay (« Banjo » 1929), Jean Toomer, Carl Van Vechten et Jessie Fauset, directrice de 1919 à 1926 de la revue « Crisis – A Record of the Darker Races » |
A consulter sur le
web : www.falcon.jmu.edu/ (bibliographie) |
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Jazz et SurréalismeDe ce côté-ci de l’Atlantique, l’Europe, et plus spécialement la France, a « découvert » le jazz, dès le début de la première guerre mondiale, par les premiers orchestres américains suivis en 1925 par « La Revue Nègre » et Joséphine Baker. Alors que de nombreux compositeurs, dont Claude Debussy, Erik Satie et Maurice Ravel sont fascinés par le jazz, la plupart des poètes surréalistes leur emboîtent le pas bien que leur maître à penser André Breton clame son mépris pour toute musique. Plus tard, en 1953, Gérard Legrand tentera de démontrer la parenté entre jazz et surréalisme dans son essai « Puissances du Jazz ». C’est ainsi que Philippe Soupault écrit « Ragtime » dans « La Rose des Vents » en 1920, poème dédié à Pierre Reverdy qui enregistrera vingt ans plus tard « Fonds Secret » sur une improvisation du trompettiste Philippe Brun. Le grand animateur des nuits parisiennes de ces années folles qu’est Jean Cocteau « dit » ses poèmes accompagné par un orchestre… quand il ne joue pas lui-même de la batterie, au fameux cabaret « Le Bœuf sur le Toit » en 1929. De leur côté, Louis Aragon, Robert Desnos et Michel Leiris fréquentent les clubs de jazz, ce dernier chroniquant les disques de Duke Ellington dans la revue « Documents » de Georges-Henri Rivière et exposant de pertinentes réflexions sur le jazz dans « l’Age d’Homme » (1939). |
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Jazz et Poésie : le swing des motsAprès 1945, les poèmes directement inspirés du (ou par le) jazz se multiplient, leurs auteurs ayant recours à une spontanéité identique à l’improvisation musicale. Jack Kerouac, l’une des figures emblématiques de la « beat generation », qui a assisté à la naissance du be-bop, déclare : « il faut souffler, jouer des phrases bop comme transporté au-delà des rigueurs de la phrase dans ce que j’appelle des océans d’anglais ». Il conçoit alors de la poésie boppée et scandée selon le jazz dans les deux cent quarante-deux chorus de « Mexico City Blues » en 1954 - 55 (les poèmes sont désignés comme des « chorus » musicaux) A la même
époque, Ted Joans, ami et admirateur
de
Charlie Parker,
organisait une soirée de lecture de poèmes avec
la
participation du saxophoniste. |
A lire : A consulter sur le
web : |
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Le cas Boris VianGénial
touche-à-tout, Boris Vian
fut ingénieur, pataphysicien, inventeur, musicien, peintre,
journaliste, traducteur (« Young Man with a
Horn »
de Dorothy Baker), parolier de chansons, critique souvent
féroce
à l’égard des musiciens blancs
(à la revue
« Jazz-Hot » et dans les colonnes
du journal
« Combat »), poète et
romancier
imprégné
du jazz qu’il pratiqua à la
« trompinette ».
Dans son ouvrage le plus célèbre,
« L’Ecume des Jours »,
le personnage principal, Colin, s’abreuve de cocktails
traduits
des
accords de Duke Ellington dont le titre d’une de ses
compositions,
« Chloé » est choisi
comme prénom
pour son épouse. |
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Le Jazz et la fiction romanesque contemporaineMusique
d’ambiance pour les aventures sentimentales des riches et
célèbres
« Enfants du Jazz » (1925) chez
F.Scott
Fitzgerald, le jazz est l’objet d’un
sentiment obscur et complexe pour le héros du
« Loup
des Steppes » (1927) de Hermann
Hesse ; de même pour les
héros de « Magie
Noire » (1928) et
« New
York » (1930) de Paul
Morand ; comme pour la poésie,
c’est à partir de la Libération, de la
découverte
du be-bop et la présence en France de musiciens
américains
que le jazz deviendra plus présent sous divers aspects
(occasionnel, marginal, épisodique, anecdotique, voire
anachronique) dans le roman contemporain. Michael Ondaajte raconte la vie mouvementée d’un trompettiste de légende dans « Le Blues de Buddy Bolden », Danièle Robert nous fait partager « Les Chants de l’aube de Lady Day », superbe évocation poétique de la vie de Billie Holiday, le Tchèque Josef Svorecky évoque « Le camarade joueur de jazz », l’Africain Edouard Dongala nous fait partager son admiration pour John Coltrane dans « A Love Supreme », nouvelle contenue dans « Jazz et vin de palme » tandis que l’Afro-américaine Toni Morrison, Prix Nobel de littérature, écrit « Jazz », roman construit au rythme d’une interprétation de jazz qui devient au cours de la narration le Jazz lui-même. |
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Jazz et PolarAuparavant, Chester Himes
avait vécu à Paris, connu quelques jazzmen et
inauguré
avec « La Reine des Pommes »
(1958) une
série
de romans policiers, sorte de préfiguration du
« polar
contemporain » nourri au jazz ;
dans ce
livre-culte (et les suivants), paroles de blues et rythmes
syncopés ponctuent sans cesse l‘action dans un
Harlem en
ébullition : |
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Ecrivains DU Jazz / Ecrivains DE JazzLes œuvres de trois écrivains sont totalement « habitées » par une passion commune, le jazz, et cela sous des approches bien distinctes : le renoncement à la pratique d’un instrument chez Christian Gailly, de la critique discographique à la fiction multiforme chez le prolixe et prolifique Alain Gerber, en rapport avec le « fantastique du quotidien » chez l’argentin Julio Cortázar. Christian GaillyVenu au jazz à la fin des années 50, il devient jazzman ; contraint à l’abandon, il se lance dans l’écriture après avoir rangé le jazz dans un coin de sa mémoire. « En écrivant « Be-bop » (son sixième livre), je me suis aperçu que le jazz vibrait encore en moi comme une langue maternelle », confiera-t-il. Ce livre raconte la rencontre entre un jeune jazzman doué et un quinquagénaire qui a rompu ave la musique trente ans auparavant. Dans « Un soir au club » (prix du Livre-Inter 2002), le pianiste Simon Nardis (son nom fait référence à une composition de Miles Davis) essaie de retrouver la musique qu’il avait perdue et la femme qu’il n’espérait plus. Alain Gerber Auteur
d’une vingtaine de romans, de nouvelles et essais, il est un
spécialiste incontesté du jazz, producteur
d’émissions
à Radio-France. D’abord critique à la
revue
Jazz-Magazine (écrivain DU jazz), il est devenu
écrivain
DE jazz (comme on dit aussi musicien DE jazz) avec des œuvres
aux
titres évocateurs : « Une sorte
de Bleu » la fameuse composition
« Kind of Blue » de Miles Davis
ou bien encore
« Les jours de vin et de roses »,
célèbre standard de jazz ; suit une
série
de biographies plus ou moins romancées,
« Lester Young »,
« Clifford Brown sous-titré Le roman
d’un enfant sage »,
« Bill Evans »,
« Louie » (ouvrage
consacré aux
jeunes années de LouisArmstrong), « Jack
Teagarden »,
« Chet »
(Baker), « Charlie » (Parker) et
tout
récemment
« Lady Day » (Billie Holiday).
Dans un CD
intitulé « Le Jazz est un
Roman » (titre éponyme d’une
série
d’émissions sur France-Musiques dont il est
producteur),
Alain Gerber, tel un conteur, dit, avec une grande
admiration/émotion, des textes en hommage à de
grands
improvisateurs, accompagné par des jazzmen dont Martial
Solal, Michel Portal, Daniel Humair. Julio CortázarLorsqu’en
1963 les éditions Gallimard publient le recueil de nouvelles
intitulé « Les Armes
secrètes » les amoureux de la
littérature et du jazz
découvrent
avec bonheur l’une des cinq,
« L’Homme à
l’affût », texte magnifique qui
retrace un
épisode parisien de la vie de Johnny Carter implicitement
inspiré de la vie de Charlie Parker. Avec ce livre,
l’écrivain
argentin devient célèbre en France où
il
s’installe en 1951 (il obtient sa naturalisation trente ans
après).
En 1977, il m’accorda un long entretien au cours duquel il
confia
sa passion pour toutes les musiques (de Perotin à Archie
Shepp) et plus
particulièrement
le jazz (toute son œuvre y fait
référence) auquel
il
s’intéresse au début des
années 30 et
qu’il
compara alors à « un
équivalent musical du
surréalisme, une musique qui se passait de
partition ». On trouve également de très grandes pages littéraires sur le jazz dans ce qu’on appelle « la critique de jazz » ; André Hodeir, Gérald Arnaud, Alain Tercinet et déjà cités : Boris Vian, Jacques Réda, Alain Gerber, Yves Buin dans les revues telles que, en France « Jazz-Hot », créé par Charles Delaunay ou « Jazz Magazine » créé par Franck Ténot et Daniel Fillippachi ou aux Etats-Unis Leonard Feather, Ira Gitler … en ce qui concerne l’autobiographie, à lire notamment : Billie Holiday « Lady sings the Blues », Charles Mingus « Moins qu’un chien », Art Pepper « Straight Life », Duke Ellington « Music is my Mistress », Miles Davis « Miles » ou Dizzy Gillespie « To be or not to be bop ». |
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